jeudi 4 janvier 2018

COLLOQUES AVEC MGR MARCEL LEFEBVRE



En supplément au dernier Bulletin de la Sainte Croix, Dom Thomas d'Aquin partage avec nous ses souvenirs des conversations qu'il a eues avec Mgr Lefebvre.  Nombreuses sont les similitudes avec la situation actuelle : à son époque, Mgr Lefebvre était accusé de "résistancialisme" ! 

C’est en 1975 que je vis Mgr Lefebvre pour la première fois. Il est venu à notre Monastère de Sainte Marie-Madeleine à Bédoin dans le sud de la France, pour conférer les ordres mineurs à deux de nos frères, le frère Jean de Belleville et le frère Joseph Vannier. Le sermon de Mgr Lefebvre m’impressionna par sa sérénité. Il respirait la paix, cette paix qui est la devise des bénédictins et qu’il paraissait posséder plus que nous tous. 


Cette cérémonie ne resta pas inaperçue des progressistes qui ne nous pardonnèrent pas ; recevoir Mgr Lefebvre ! Le laisser conférer les ordres à nos étudiants ! Cela ne pouvait pas rester sans une punition exemplaire. Le supérieur général de notre congrégation est venu nous voir, vêtu comme l’exigent les temps modernes, c’est-à-dire, en costume et cravate. Peut-être la cravate est-elle le fruit de mon imagination, mais je me souviens bien du costume. Conclusion : nous avons été exclus de l’ordre bénédictin. En vérité, c’était Mgr Lefebvre qu’ils cherchaient à atteindre, ou mieux, c’était Notre Seigneur qu’ils persécutaient. 

En 1976 j’ai pu écouter Mgr Lefebvre prêchant à Ecône au début de cet été qui fut connu comme « l’été chaud » dû à la gravité des événements qui marquèrent la vie de la Fraternité St. Pie X et de l’Église pendant ces jours héroïques. Interrogé par les journalistes au sujet de son attitude, Mgr Lefebvre répondit avec simplicité : «Quand je serai devant mon juge, je ne veux pas qu’il puisse me dire : toi aussi, tu as laissé détruire mon Église»

Mais ce fut seulement en 1984 que j’eus un contact personnel avec Mgr. Lefebvre. J’avais été envoyé au séminaire d’Ecône, étant déjà prêtre, pour compléter mes études et pour me reposer. Profitant de la présence de Mgr Lefebvre, j’ai pu le voir fréquemment. Sa bonté paternelle rendit facile ces conversations, dont je transcris l’essentiel ici. Comme j’avais l’habitude d’écrire le compte rendu de ces colloques après chaque entrevue, aujourd’hui je me sers de mes notes pour la rédaction de ces lignes. 

Le mardi, 6 novembre 1984, Mgr. Lefebvre m’a parlé de l’œcuménisme :

« Si les autres religions ne sont pas l’œuvre du démon il n’y a donc pas de raison pour ne pas les admettre ; il n’y a pas de raison de les combattre. Or, toutes les religions, hormis la religion
catholique, sont des œuvres qui ne viennent pas de Dieu. ‘Qui n’est pas pour moi, est contre moi’, a dit Notre Seigneur. Toute religion, hormis la religion catholique, est œuvre du démon. Toute atténuation de cette vérité concourt à la perte des âmes. Cette hérésie est tellement répandue que même nos fidèles n’échappent pas entièrement à son influence. Je pense que nous sommes devant une véritable hérésie. Je pense comme Mgr. Antônio de Castro Mayer, mais je n’ai pas voulu le dire publiquement jusqu’à présent. »

Le 12 mars 1985, Mgr Lefebvre me parla de la question des accords avec Rome. Je pense que Mgr Lefebvre aborda ce sujet à cause de Dom Gérard, qui à l’époque cherchait à obtenir l’appui de Mgr Lefebvre pour ce qu’il voulait faire. Dom Gérard a dit ensuite qu’avec le Cardinal Ratzinger il était possible de s’entendre et que Mgr Lefebvre était trop fermé. Même ainsi, Dom Gérard cherchait l’approbation de Mgr Lefebvre, sans laquelle il n’aurait pas eu l’approbation des fidèles de la tradition.

« S’assujettir à des hommes qui n’ont pas l’intégrité de la foi catholique ? Se soumettre à des hommes qui proclament des principes contraires aux principes de l’Église ? Ou nous serons obligés de rompre de nouveau avec eux et la situation deviendra pire qu’avant ou nous serons conduits insensiblement à la diminution et à la perte de la foi.

Il y a encore une troisième possibilité. Une vie bien difficile à cause du contact fréquent avec des hommes qui n’ont pas la foi catholique, conduisant à la désorientation et à la diminution de l’esprit de combat des fidèles. »

Cette question a conduit Mgr Lefebvre à parler des sacres :

« J’ai attendu le plus possible pour que Dieu m’éclaire au sujet des sacres. À Rome, ils s’enfoncent de plus en plus dans leurs erreurs. Je pense qu’il est nécessaire de sauvegarder la permanence du sacerdoce catholique. J’ai attendu la confirmation de ce devoir. Il me semble que je l’ai de plus en plus. 

Le libéralisme est une hérésie. Je n’ai pas voulu le dire jusqu’à présent. On ne pouvait pas imaginer qu’un pape puisse arriver à un tel point. Il n’est plus pape à cause de cela ? Je ne pense pas qu’on puisse affirmer cela. C’est une chose qu’on ne pouvait pas imaginer. »

Et pour revenir à la question des accords :

« Notre position, telle qu’elle est maintenant, nous permet de rester unis dans la foi. Tous ceux qui ont voulu obtenir un compromis avec les modernistes ont dévié. Je pense que nous ne devons pas nous soumettre à eux. 

Je suis très méfiant. Je passe des nuits à penser à cela. Ce n’est pas nous qui devons signer quelque chose. Ce sont eux qui doivent signer, garantissant qu’ils acceptent la doctrine de l’Église. Ils veulent notre soumission, mais ils ne nous donnent pas la doctrine. »

Belle conclusion. Soumission ? Oui, mais avec la doctrine. Sans la vérité révélée, sans la tradition, il n’en est pas question, car ce serait le suicide de la foi et la perte de la vie éternelle. 

Le 30 mars 1985, samedi de la Passion, conversant avec les professeurs du Séminaire d’Ecône, Mgr Lefebvre fit des observations intéressantes au sujet de la politique.

« Au lieu de l’ONU, le Vatican devrait encourager l’union des états catholiques. Il y eut un moment, après la guerre, durant lequel il y avait des chefs d’États catholiques en Europe : Salazar au Portugal, Franco en Espagne, De Valéra en Irlande, Alphonsini en Italie, Coty en France et Adenauer en Allemagne, lequel, malgré le fait de ne pas être catholique, avait quelques principes catholiques. »

Parlant de Salazar, Mgr. Lefebvre, conta que le grand président portugais se plaignait des évêques de son pays :

« Il faut réformer les universités, mais les évêques ne m’aident pas, ils ne semblent pas en comprendre l’importance. Mais sans cela, comment obtenir une génération franchement catholique ? »

Ce même jour, ou peu après, Mgr Lefebvre, commentant l’illusion de quelques-uns qui sont toujours à la recherche de compromis, dit :

« M. untel est toujours ambigu. Il veut nous conduire à des compromis. Si la messe n’est pas hérétique, elle est orthodoxe, dit M. untel. Comment ? et toutes les nuances et les degrés entre l’hérésie et l’orthodoxie ? »

Et, parlant des évêques qui cherchent à semer ce climat d’ambiguïté :

« Ils s’efforcent de propager la messe de l’indult(1), mais avec la finalité de rapprocher les fidèles de la messe nouvelle et de la doctrine de Vatican II. »

Le 14 mai 1985, dans son bureau, Mgr. Lefebvre me parle du Concile :

« Ils vivent dans le mensonge. Inconsciemment. Peut-être. Mais, objectivement, ils vivent dans le mensonge. Au Concile, ils disaient : ‘Le Concile est pastoral.’ Le Pape lui-même disait : ‘le Concile est pastoral et non dogmatique.’ Maintenant, ils cherchent à l’imposer comme un concile dogmatique. »

Le lundi de Pentecôte, Mgr Lefebvre nous parla de la retraite qu’il devait nous prêcher au Barroux. Les relations avec Dom Gérard étaient bien tendues à cette époque à cause des accords que Dom Gérard voulait faire avec Rome.

« Je me vois très embarrassé, très ennuyé », dit Mgr Lefebvre. « Je crains que les mots ne sortent pas de ma bouche. »

Confession touchante qui montre que, si Mgr Lefebvre était un combattant, il n’était pas insensible et il lui coûtait d’affronter certaines situations. Mais, même ainsi, il vint au monastère et nous prêcha la retraite annuelle de 1985. 

Cette retraite fut une nouvelle occasion de parler avec Mgr Lefebvre. La question des sacres devenait de plus en plus actuelle.

« Est-ce que je dois sacrer un évêque ? Cela me répugne », disait-il, « mais citez-moi un seul évêque qui a un séminaire où on donne une formation catholique, sans mélange de modernisme. Je pense que, si je ne fais rien, Notre Seigneur me grondera après ma mort, me disant : ‘Vous aviez le caractère épiscopal, vous auriez dû assurer la continuation du sacerdoce catholique. »

À une autre occasion, Mgr Lefebvre donna, une raison de plus pour les sacres, raison qui me parût décisive et que j’ai gardé dans ma mémoire :

«Si Rome était capable de former des prêtres catholiques, je n’aurais aucune raison de sacrer sans l’autorisation de Rome. Mais Rome n’en est plus capable

Il devenait donc nécessaire de sacrer de nouveaux évêques. Cependant, Mgr Lefebvre allait attendre encore deux ans, preuve de sa grande prudence. Il voulait avoir la certitude que cela était vraiment son devoir. Peut-être voulait-il aussi préparer les prêtres et les fidèles pour cet acte si nécessaire, mais qui faisait peur à certains. 

Étant de passage à Ecône, en janvier 1986, j’en profitais pour voir Mgr Lefebvre. Entre autres choses, il me dit :

« Le Pape a annoncé un congrès de toutes les religions à Assise. Un congrès de toutes les religions ! Quel Dieu vont-ils invoquer ? Je n’en vois pas d’autre que le Grand Architecte ! Tout cela est une idée maçonnique. Je crois qu’il y aura des réactions. L’Italie. Assise. Tout cela est encore trop catholique. Ils vont, peut-être, demander un endroit moins catholique. Jérusalem, peut-être. »

Je profite alors pour demander à Mgr Lefebvre qu’elle était l’essence de la doctrine du Saint-Père. Monseigneur répond :

« - Qu’il n’y a pas de vérité. Que la vérité évolue. Ce qui compte c’est la vie. » 

- Mais cela c’est l’essence du modernisme.

« - Ils sont modernistes », dit Mgr Lefebvre. «Ratzinger et le Pape sont modernistes. C’est pour cette raison qu’ils ne comprennent rien de nos réclamations. Ils disent : ‘Mais quel mal y a-t-il dans tout cela ?’ C’est pour cette raison qu’ils ont été choisis. À cause de leur esprit imprécis. Jamais ils ne donneraient ces postes à quelqu’un qui aurait l’esprit scolastique, l’esprit clair, limpide. Non. Ils ne veulent pas cela. 

C’est la maçonnerie - poursuit Mgr Lefebvre - qui dirige le Vatican. Le Cardinal Gagnon me l’a dit, lui-même. Ceux qui occupent les postes principaux ne sont pas forcément maçons, mais les maçons sont placés de telle façon à tout diriger.»

À la fin de l’année 1986 Dom Joseph Vannier et moi-même avons été envoyés au Brésil pour voir un terrain qui nous était offert en vue de la fondation d’un monastère. Avant de quitter l’Europe, nous sommes allés à Ecône pour prendre congé de Mgr Lefebvre. Il nous parla alors d’un dessin sur Assise qu’il voulait répandre pour alerter les fidèles sur la gravité de cette réunion œcuménique. Il nous montra deux brouillons. L’un était d’un séminariste et l’autre d’une sœur de la Fraternité. Celui du séminariste était meilleur, mais celui de la sœur était plus respectueux. Mgr Lefebvre préféra celui de la sœur. II ne voulait pas de caricature. Il voulait simplement expliquer avec des images le péché très grave de la réunion d’Assise. Avant de partir, j’assurais Mgr Lefebvre de notre adhésion sans restriction à l’idée du dessin. 

Étant partis pour l’Amérique du Sud, notre première étape fut le séminaire de la Fraternité Saint Pie X en Argentine. Mgr Lefebvre et Mgr Antônio de Castro Mayer s’y rencontrèrent lors des ordinations cette année-là, durant lesquelles deux prêtres de Campos reçurent le sacerdoce : le Révérend Père Hélio Rosa et le Révérend Père José Paulo Vieira, ainsi que le Révérend Père Alvaro Calderon et quelques autres prêtres de la Fraternité Saint Pie X. 

Rencontrant Mgr Lefebvre, il nous parla de nouveau d’Assise, et il commenta les réactions qu’il y eut au sujet du fameux dessin :

« J’ai été surpris par la réaction. Je m’attendais à quelque chose, mais pas autant. C’est une leçon de catéchisme ! On peut dire la même chose de tous les péchés. Au ciel il n’y a pas d’œcuménistes, comme au ciel il n’y a pas de divorcés. Au ciel il n’y a personne en état de péché mortel.

Je demande à Dieu que ce dessin arrive dans les mains du Saint Père et qu’il se réveille et dise : ‘Où irais-je si je continue ainsi ?’ Il faut que le Saint Père sauve son âme ! 

Il a invité les chefs des fausses religions à prier dans leurs erreurs. C’est une invitation à demeurer dans l’erreur. C’est une reconnaissance de ces erreurs. 

Après cela, j’ai dit qu’il ne manquait plus maintenant que de danser avec le démon. Paraît-il que le Pape l’a déjà fait, dansant au son du rock, avec une étole, au milieu de jeunes filles, en Australie. Quelques-uns se scandalisent plus avec cela que de la réunion d’Assise. C’est un manque d’esprit de foi. Assise est plus grave. C’est plus théologique. 

La réunion qui eut lieu la veille fut encore pire. Les paroles du prince d’Edimbourg ont été blasphématoires. »

Ce prince, mari de la Reine d’Angleterre, a dit qu’il était nécessaire d’en finir avec ce scandale, qui dure depuis déjà deux mille ans, d’un homme qui a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie. » Que pouvait-on espérer de différent quand on invite tous les hérétiques, schismatiques, et infidèles à se manifester ? 

En parlant des sacres, Mgr Lefebvre nous a dit encore :

« Du point de vue théologique Mgr Antônio Castro Mayer ne voit aucune difficulté, mais nous pensons qu’il est meilleur d’attendre un peu. »

Au sujet du Pape, il ajoute :

« Quant à dire que le Pape n’est pas Pape, je ne sais pas, les théologiens ne sont pas d’accord à ce sujet. Je ne veux pas entrer dans cette question. Cela ne me paraît pas encore assez clair. Je préfère dire simplement qu’il est un pécheur public. Un concile décidera, après sa mort, s’il était Pape ou non. »

Ensuite il nous parla du Cardinal Villot :

« Villot a menti à Paul VI, lui disant que j’avais fait signer aux séminaristes un document contre le Pape. Quand j’ai pu voir Paul VI, Villot était furieux. Il exigea que Benelli fût présent lors de la conversation. Le Saint Père me parla de ce fameux document que j’aurais obligé les séminaristes à signer. J’ai dit bien clairement à Paul VI qu’il n’existait rien de tel. Plus tard, le Cardinal Benelli, dans l’Observatore Romano, a nié que nous ayons parlé de ce sujet. Ce sont des bandits. Ils n’ont même pas l’honnêteté la plus élémentaire.

Villot avait tout organisé. Il disait que dans un délai de six mois la Fraternité n’existerait plus. Il y eut alors la visite canonique à Ecône, l’appel à Rome, l’entrevue avec Garrone, Tabéra, Wright et ce qui suivi. Pire que les soviétiques ; même pas l’apparence d’un jugement. J’ai dit cela à Jean-Paul II. Il a souri. Rien de plus. Lui aussi, c’est un bandit. »

Parlant de Montini et de Pie XII, Mgr. Lefebvre nous a dit :

« Au début du concile je fus mis au courant de l’histoire de Montini. ‘Promoveatur ut removeatur.’(2) Et, le jour du sacre de Montini, Pie XII fit un discours dithyrambique. Quelle coutume désastreuse ! Même Pie XII. » (3)

Ensuite sont venues les années de la fondation Santa Cruz, pendant lesquelles Mgr Lefebvre nous a aidé par ses précieux conseils. Ma conscience était bien incommodée à cause des modifications liturgiques introduites par Dom Gérard à la messe. Il ne s’agissait pas encore de la nouvelle messe, mais ce n’était plus le missel de Jean XXIII, de 1962. Il s’agissait de quelques modifications introduites par Paul VI et Dom Gérard lui-même. J’écrivis alors à Mgr Lefebvre, qui, tout en n’approuvant pas Dom Gérard, me conseilla surtout de garder de bonnes relations avec le Monastère de France, Le Barroux. On voit par là que Mgr Lefebvre était bien conciliant. S’il s’opposait au Saint Père, c’était parce que vraiment il n’y avait pas d’autres solutions. Il s’opposa par devoir, parce qu’il n’avait pas d’autre solution. 

Mais ces bonnes relations avec notre monastère de France n’allaient pas durer longtemps. Dom Gérard, après les sacres, fera un accord qui mettra nos monastères sous l’autorité des modernistes. 

Mgr Lefebvre m’écrivit alors une lettre datée du 18 août 1988, dans laquelle il disait :

« Combien j’ai regretté que vous soyez parti avant les événements du Barroux.(4) Il eut été plus facile de considérer la situation provoquée par la décision désastreuse de Dom Gérard.

L’Abbé Tam s’est offert de passer chez vous à l’occasion de son retour au Mexique et de vous remettre ces quelques lignes. 

Dom Gérard, dans sa déclaration, fait état de ce qui lui est donné et accepte de se mettre sous l’obédience de la Rome moderniste, qui demeure foncièrement antitraditionnelle, ce qui fut la cause de mon éloignement. 

Il voudrait en même temps garder l’amitié et le soutien des traditionnalistes, ce qui est inconcevable. Il nous accuse de ‘résistancialistes’. 

Je l’ai pourtant bien averti. Mais sa décision est prise depuis longtemps et il ne voulut plus entendre raison. 

Les conséquences désormais sont inéluctables. Nous n’aurons plus aucun rapport avec le Barroux et nous avertirons tous nos fidèles de ne plus soutenir une œuvre désormais dans les mains de nos ennemis, ennemis de Notre Seigneur et de son Règne universel. 

Les Sœurs Bénédictines sont angoissées. Elles sont venues me voir. Je leur ai conseillé ce que je vous conseille aussi : gardez votre liberté et refusez tout lien avec cette Rome moderniste.

Dom Gérard use de tous les arguments pour endormir les résistants [...]. 

Vous devriez faire réunion avec les Pères Laurent et l’Argentin,(5) ainsi que vos novices [...]. 

A vous trois, avec les novices de Campos, vous pouvez continuer et constituer un monastère indépendant de Rome. Il ne faut pas hésiter à l’affirmer publiquement. Dieu vous bénira. 

Et vous pourriez ensuite, après quelque temps, reconstituer un monastère en France, vous seriez très soutenu et auriez des vocations. 

Dom Gérard a suicidé son œuvre. L’Abbé Tam vous dira de vive voix ce que je n’ai pas écrit. Je prie Notre Dame de vous venir en aide pour la défense de l’honneur de son divin Fils. 

Que Dieu vous bénisse et bénisse votre monastère

Voici comment Mgr Lefebvre voyait la situation. Nous avons suivi ses conseils. Une déclaration publique fut faite, et nous nous séparâmes de Dom Gérard. Cette déclaration fut faite avec l’aide de l’abbé Fernando Rifan, de l’abbé Tam et de Maître Julio Fleichman, père du Père Laurent. Mgr Lefebvre voulait que cette déclaration fût connue des moines du Barroux et que ceux-ci déposassent Dom Gérard s’il ne voulait pas rompre avec Rome.

« Les sacres ont apporté un regain de vie dans la tradition », écrivait Mgr Lefebvre. « Les fidèles sont heureux. C’est pourquoi la défection de Dom Gérard est durement critiquée et personne ne le suit ; sauf quelques faux traditionalistes. » (6)

Après les sacres et les événements qui suivirent de près, Mgr Lefebvre dut supporter une dure épreuve avec l’affaire Morello, en Argentine. Cela ne l’empêcha pas de continuer à nous conseiller avec sa paternelle sollicitude. 

Non seulement, nous fûmes aidés par lui, mais aussi Campos et plus spécialement l’abbé Rifan. 

Cependant, c’était surtout Mgr Antônio de Castro Mayer, son ami et son frère dans l’épiscopat, qui occupait le cœur de Mgr Lefebvre.

« Des échos me parviennent du Brésil », écrivait-il, à Mgr de Castro Mayer, « au sujet de votre santé, qui décline ! L’appel de Dieu serait-il proche ? Rien que cette pensée me remplit d’une douleur profonde. Dans quelle solitude vais-je me trouver sans mon frère aîné dans l’épiscopat, sans le combattant exemplaire pour l’honneur de Jésus Christ, sans l’ami fidèle et unique dans le désert effroyable de l’Église conciliaire ! » (7)

Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer allaient nous quitter pratiquement en même temps, en 1991, nous laissant l’exemple de leur foi et de leur esprit de combat reçu à Rome pendant les années de séminaire près de la tombe du prince des apôtres. 

Que leurs héroïques vertus et que leurs mérites nous obtiennent la grâce de la fidélité dans le même combat qu’ils ont mené et dont Monseigneur a dit : «Préparez-vous pour un combat de longue durée.» Nous souvenant de ces paroles nous ne pouvons que répéter cette autre qui venait si souvent à ses lèvres et qui maintenait l’esprit de combat entre nous tous : « On continue. »

+ Thomas d’Aquin OSB

(1) 1 Indult de 1984 : pour célébrer la messe de St Pie V, concédée par le Pape Jean-Paul II, mais avec une restriction : ne pas rejeter la messe de Paul VI. Conclusion : l'indult seulement pour ceux qui n'avaient pas de motif vraiment sérieux pour en faire usage. En vérité, comme le fait remarquer Mgr. Lefebvre, cet indult, avait comme objectif d'habituer les prêtres et les fidèles à deux messes et, de cette façon de leur faire accepter la messe nouvelle, comme ce fut le cas de Mgr. Fernando Rifan et de tous les autres.

(2) « Promu pour être changé. »

(3) Secrétaire d'État de Pie XII, Montini avait trahi Pie XII. Pie XII le destitua, mais lui donna le poste d'archevêque de Milan et fit un sermon élogieux à son mauvais serviteur.

(4) J'étais reparti au Brésil avant la conclusion ou, au moins, la publication des accords de Dom Gérard avec Rome. 

(5) Le Père Jean de La Croix

(6) Lettre du 2 septembre 1988. 

(7) Lettre du 4 décembre 1990.